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mercredi 1 octobre 2008

De l'espoir pour les poissons de la Baltique ?

Ci-dessous une interview de Isabella Lövin parue sur Novéthic, par Rouba Naaman

Son livre sur la surpêche dans les eaux européennes a bouleversé l’opinion publique suédoise. Avec une enquête quasi exhaustive, elle a réussi à alerter les pouvoirs publics sur l’état des écosystèmes marins en Europe du Nord. Pour Novethic, la journaliste suédoise Isabella Lövin revient sur la situation dramatique de la mer Baltique.

Quelle est la gravité de la situation environnementale de la mer Baltique ?
La mer Baltique a complètement changé de « régime », passant d’un écosystème dominé par le cabillaud à un écosystème dominé par l’anchois. Il faut remettre le cabillaud en haut de la chaine alimentaire. Un article scientifique paru cet été montre que la diminution dramatique du cabillaud a déséquilibré toute la chaine. Les anchois, habituellement chassés par le cabillaud, se multiplient et dévorent le zooplancton. Les algues vertes voient ainsi disparaitre leur principal prédateur, et envahissent la mer. C’est une situation dramatique, y compris économiquement. La population de cabillaud est passée de 700000 tonnes dans les années 80 à 160000 tonnes aujourd’hui. Il y a deux ans, ce chiffre était deux fois moindre. Les estimations du Conseil suédois de la pêche montre qu’en pêchant moins dans les années 80 – en suivant les recommandations scientifiques par exemple – nous aurions pu aujourd’hui pêcher deux fois plus, tout en maintenant des quantités de poisson supérieures aux limites fixées (240000 tonnes dans la Baltique).

Y’a-t-il une chance de rétablir un écosystème normal dans la Baltique ?
L’exemple du saumon le prouve. En janvier 2008, les pays de la baltique ont interdit la pêche avec des filets dérivants. Les résultats se font déjà sentir : les quantités de saumon dans les rivières suédoises ont augmenté significativement. Le problème actuel pourrait être résolu assez vite si les politiciens jouent les bonnes cartes. Grâce à de bonnes conditions hydrologiques, les cabillauds ont pu se reproduire abondamment en 2003 et 2005. Si on laisse ces deux générations se reproduire tranquillement, il y aura de grandes chances pour que l’écosystème de la mer Baltique se rétablisse en quelques années à peine. Cela ne résoudra pas tous les problèmes environnementaux, mais l’écosystème sera stabilisé. La Baltique sera alors moins vulnérable aux agressions extérieures.

Neuf pays bordent la mer Baltique, chacun ayant des intérêts économiques forts. Comment mettre tout le monde d’accord pour sauvegarder l’environnement ?
Les questions environnementales sont débattues notamment dans le cadre de la Commission de protection de l’environnement de la mer Baltique (Helcom). Tout ce qui concerne la pêche est géré par l’Union européenne. Il est évidemment difficile d’arriver à des accords qui supposent que des pêcheurs devront arrêter leur activité pendant un an ou deux. La Suède a essayé d’implanter une telle décision en 2002, lorsque le parti des Verts a convaincu le gouvernement suédois que le cabillaud de la mer Baltique avait besoin d’un moratoire complet d’un an. Mais étrangement, l’UE ne nous a pas laissé faire. Bruxelles a interdit à Stockholm de protéger ses propres cabillauds, sous le prétexte que la politique de pêche est commune à tous les pays de l’UE. Cette mesure aurait donc été « discriminatoire » à l’encontre des pêcheurs suédois, qui n’auraient pas pu exercer leur activité de la même façon que leurs confrères européens. Pourtant les pêcheurs suédois auraient été indemnisés à 100% par les contribuables.

N’aurait-il pas été possible de prendre une telle décision à l’échelle de tous les pays entourant la Baltique ?
Apparemment non. En partie, parce que les pêcheurs de certains pays n’avaient pas l’assurance d’une compensation économique en cas d’arrêt de la pêche du cabillaud, comme le recommandait l’ICES (Conseil international de l’exploration maritime). Tous les Etats entourant la Baltique, excepté la Russie, appartiennent à l’UE. Le Fond européen des pêches (EFF) a beaucoup d’argent, et il serait peut-être possible d’accorder tous les pays sur un moratoire de la pêche au cabillaud. De même, les quotas de pêche sont bien trop excessifs. Pourquoi ? Parce que la Politique commune de pêche n’a pas défini les facteurs socio-économiques à prendre en compte dans la négociation des quotas. Si les Etats membres regardaient les données, ils verraient tout de suite que le coût économique et écologique de la surpêche est bien plus important que son bénéfice économique, à la fois pour les Etats et pour les pêcheurs, dont le nombre continue de baisser.

Il faut donc réduire les quotas de pêche. Mais est-ce suffisant ?
En effet, il faudrait suivre les recommandations scientifiques au sujet des quotas. Mais il faut également réduire les flottes de pêche partout en Europe. Dans la Baltique, la pêche au cabillaud est deux fois trop importante. C’est également une incitation à la pêche illégale : beaucoup de pêcheurs ne gagnent pas assez d’argent avec leurs petits quotas, donc ils “doivent” les dépasser. Le contrôle des bateaux, y compris les petits, doit par ailleurs être plus strict, en utilisant par exemple des satellites ou des cartes grises électroniques. Il faut renforcer les lois, pour ne plus tolérer le vol de la propriété commune que sont les poissons. Pourquoi ne pas instaurer un droit de pêche pour l’industrie ? Cela parait logique, pourtant pour l’instant c’est l’inverse : les contribuables européens payent pour des subventions dédiées à l’industrie de la pêche. Les manifestations des pêcheurs français cet été, pour dénoncer l’augmentation du prix du carburant, sont un bon exemple. L’UE a accepté de leur donner une compensation économique. Sans cela, les bateaux aurait dû rester au port, et les poissons auraient eu une chance de se reproduire. A présent, on subventionne la chasse au dernier poisson comestible.

Faut-il, d’ici là, préférer les poissons d’élevage ?
Les poissons d’élevage végétariens, comme la carpe et le tilapia, sont à privilégier, s’ils sont élevés dans un environnement sûr, de sorte qu’ils ne puissent s’échapper et répandre d’éventuelles maladies. Mais l’élevage de poissons carnivores, comme le poisson et le cabillaud, ne résoudra pas le problème de la surpêche. En effet, pour nourrir un poisson d’élevage de 1 kilo, il faut pêcher 2 à 3 kilos de poisson sauvage, du hareng ou de l’anchois. C’est, en d’autre termes, plus écologique et moins énergivore de manger directement le hareng ou l’anchois.

Tyst hav (“Mer silencieuse” en suédois) d’Isabella Lövin, aux éditions Ordfront.
Source : Novéthic

En attendant la version anglaise (disponible l’année prochaine), deux livres en français pour aller plus loin:
- "Une mer sans poissons", de Philippe Cury, docteur ès sciences, membre de l'Institut de recherche pour le développement, et directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale, basé à Sète
- "SURPÊCHE. L'Océan en voie d'épuisement", de Charles Clover, journaliste et rédacteur en chef au Daily Telegraph

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