Bonjour
J'ai bien aimé l'article de Jean-Marc Vittori publié dans Les Echos mardi dernier. Il est toujours bon de se projeter quelques années en avant, et la décision désastreuse prise la semaine dernière sur les quotas de pêche au thon rouge met clairement en danger la survie de cette espèce. Certains pensent même que cette décision a entériné l'extinction de l'espèce dans les années qui viennent, à l'instar de la morue de Terre-Neuve dont les stocks ne se sont toujours pas remis de leur chute il y a vingt ans.
"En cette fin d'année 2043, une équipe de l'université vietnamienne Hanoi 22 a fait une découverte majeure : le thon rouge est l'arme absolue contre la maladie d'Alzheimer. Or cette dégénérescence du cerveau, qui touche les seniors, est devenue le premier fléau mondial. Le traitement et l'accompagnement des malades coûtent une fortune sur une planète, qui compte près de 2 milliards d'habitants de plus de 60 ans, un nombre qui a plus que triplé depuis le début du siècle. Selon KinseyWyman, le leader des études médicales, la dépense mondiale Alzheimer représente plus de la moitié du PIB des Etats-Unis ! Voilà pourquoi la découverte des chercheurs de Hanoi est importante. Elle prouve qu'une substance au nom trop compliqué pour figurer ici, présente uniquement dans le thon rouge, permet d'enrayer la terrible maladie.
Le problème, c'est qu'il ne reste plus du tout de thon rouge, sauf dans quelques congélateurs de milliardaires japonais qui ont acheté à prix d'or les derniers stocks d'une qualité pourtant douteuse lors des folles ventes aux enchères de 2033. Au tournant des années 2020, le thunnus thynnus a disparu de son habitat, l'Atlantique et la Méditerranée, tué par l'essor mondial du sushi. La découverte de Hanoi aurait pu sauver des millions d'hommes et de femmes de la déchéance. Elle restera une anecdote scientifique.
Pourquoi donc vous parler de cette découverte toute récente mais inutile dans ce métablog économique ? Parce que l'économie aurait dû éviter la catastrophe. La gestion d'une ressource rare, c'est l'une de ses activités favorites. Or les ressources de thon rouge étaient rares (même si le poisson se reproduit, à l'inverse du pétrole dont l'utilisation mène inéluctablement à la disparition, comme l'a rappelé fin 2039 la fermeture du dernier puits russe). Nous n'avons pas su les gérer économiquement. Il suffit de se rappeler ce qui s'est passé à la fin des années 2000. Les chercheurs de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique avaient prévenu que la surpêche en Méditerranée risquait d'épuiser les stocks de thunnus thynnus. Ils prônaient des prises limitées à 15.000 tonnes par an. Mais la commission des thonidés avait fixé un quota approchant les 30.000 tonnes et la pêche réelle avoisinait les 60.000 tonnes ! En 2008, un accord avait ramené le quota à 22.000 tonnes. Mais, avec des navires pouvant pêcher trois fois plus et une surveillance aussi peu efficace que dans la finance, il n'est pas très compliqué de deviner ce qu'il advint...
Ce qui débouche sur une autre question : pourquoi les autorités avaient-elles accepté un plafond de pêche aussi élevé, puis son enfoncement ? Là aussi, la réponse est économique. C'est George Stigler qui la donne. Pour le prix Nobel d'économie 1982, la réglementation n'est pas dictée par l'intérêt général, ou pas seulement. Des lobbies de producteurs peuvent parvenir à imposer leur loi pour protéger leur business, au détriment des consommateurs ou de l'opinion publique, moins organisés. Cette analyse porte le doux nom de théorie de la capture. Stigler l'avait appliquée dans la production d'électricité aux Etats-Unis, en montrant que les régulateurs étaient sous la coupe des producteurs qui avaient réussi à imposer leurs conditions en matière de prix. Pour lui, la capture passait par la corruption. Mais elle peut aussi passer par la connivence, l'incompétence des régulateurs ou la pression politique. En maniant cette dernière arme, les pêcheurs ont capturé non seulement les thons rouges, mais aussi les pouvoirs publics qui auraient dû les en empêcher au nom de l'intérêt général !
Pourquoi donc vous parler de ces vieilleries aujourd'hui, alors qu'il n'est question partout que de l'effroyable crise financière que nous traversons, la plus grave depuis la Grosse Dépression de 2009 ? Que les choses soient claires : il ne s'agit pas de promouvoir le livre que Jacques Attali publie à l'occasion de ses cent ans, « Fin de la mer et mère de la faim ». Mais plutôt d'attirer l'attention sur les enjeux de la grande conférence internationale des poissons de mer, qui a commencé hier à Gdansk."
Puisque les gouvernements n'ont pas pris les mesures jugées indispensables par les scientifiques, nous pouvons tous agir pour préserver l'espèce : on ne commande plus de thon rouge quand on mange des sushis et on n'achète plus de thon rouge sur les étals des marchés, des poissonniers, en grande distribution, etc. On préfère manger du thon blanc (c'est excellent) ou d'autres thons clairement identifiés comme n'étant pas du thon rouge (même si leur chair est rouge : demandez l'espèce et l'origine à votre poissonnier)
Thomas
Note : les gains éventuels liés aux annonces google seront reversés intégralement à des organisations de protection de la nature et de lutte contre le réchauffement climatique
jeudi 4 décembre 2008
La fable du thon rouge
Libellés :
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1 commentaire:
Très intéressant cette fiction... et également réaliste, malheureusement!
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